La tristement célèbre inondation de 1957

Dès 1778, en vue de contrer les inondations de la Chaudière, n’a-t-on pas levé comme ex- voto la chapelle Sainte Anne à Sainte-Marie-de-Beauce? La mémoire populaire se souvient des dégâts de 1834, du 30 octobre 1885, 1896, 27 novembre 1897, 1903, 1912-1913, 18 juin 1917 et 31 juillet 1917, 1933, 1936, 8 avril 1938, 13 avril et 7 mai 1947.

On a déjà chanté la rivière Chaudière en disant qu’elle est l’épine dorsale, le sang des Beaucerons. Cette poésie régionale devient plutôt un cauchemar folklorique quand ces eaux sournoises et tumultueuses crachent leur trop-plein sur les rives. De plus, le relief est très accidenté à Beauceville.

Lors de ces crues subites, chaque affluent de la Chaudière est surveillé : le ruisseau des Meules, la rivière du Moulin, le Bras, la rivière des Plantes. Les petits ruisseaux, qui passent habituellement incognito, reprennent leurs identités: Veilleux, Bertrand, Bolduc, Dallaire, Marcoux, Olivier, Mercier, Fraser dit Saint-en-Peine…et dans l’ouest : le ruisseau du Raccourci, Mathieu et le ruisseau Bernard.

Le 31 juillet 1917, 13,8 centimètres (5, 42 pouces) de pluie tombent en vingt-quatre heures sur Beauceville. Au printemps 1932, la Commission des eaux courantes du Québec consacre 1000$ par pilier pour les deux estacades des Rapides du Diable et les deux autres face à la caserne des pompiers actuelle. Ces triangles bardés de fer servent à briser les glaces dans le méandre de la rivière. En 1954, l’eau est montée treize pieds après l’échelle peinte sur le quai du pont.

Quarante ans plus tard, soit quatre jours avant Noël, le 21 décembre 1957, une catastrophique inondation assombrit le temps des Fêtes des Beaucevillois. Des blocs de glace fracassent avec force des murs de maisons, l’eau baigne parfois le milieu du second étage. La première avenue, futur boulevard Renault, est perdue sous dix à quinze pieds d’eau à certains endroits.

Un journaliste de L’Éclaireur image alors naïvement : Beauceville, la nouvelle Venise… c’est le Bon Dieu qui a mis son gant de fer! L’hebdomadaire beauceron en profite pour annoncer de pleines pages de ventes de débâcles : Jos Fortin 5-10-15, Fernand Gousse tissus à la verge, Bijouterie Doyon, Maurice Duval meubles, Cléophas Grégoire épicier, Roy Automobile, Ferronnerie Mathieu, P.-F. Renault, Josaphat Genest cordonnier, Andréa Plante Sports…

En 1957, le premier ministre du Canada est John Diefenbaker et au Québec, Maurice Duplessis. Paul Giguère est maire de Beauceville-Est, Napoléon Loubier à Beauceville (Ouest), Henri-Louis Poulin à Saint-François-Ouest et Raymond Roy à Saint-François-de-Beauce. Que peuvent-ils faire contre ce fléau des inondations, des débâcles?

Au secteur ouest de Beauceville, l’eau souleva le plancher de la nef de l’église tout juste rénovée pour son 100e anniversaire. Des scènes désolantes se vivent un peu partout sur les rives de la Chaudière : des malades, des enfants et des familles sont sortis des deuxièmes étages par la Croix-Rouge ou l’Ambulance Saint-Jean.

La maison du taxi J.A. dit Baby Loubier est littéralement entourée de glaces. Au cœur de la ville, le Café Windsor, la mercerie Roland Fortin, la Pharmacie de Léo Garon, les bureaux de la Solidarité de Paul-Émile Deschênes, le magasin des enfants de Mme Émile Roy et le Nettoyeur Beauceville subissent de lourds dégâts. Naturellement, aucune circulation n’est possible. L’embâcle du Rocher aura causé pour deux millions de dollars de pertes.

Le premier ministre du Québec, Maurice Duplessis autorise une aide immédiate de 10 000 $. De plus, une grande souscription populaire est organisée par les postes de radio CKRB ET CJMS; le 26 décembre, on a déjà amassé 20 000$. Le jeudi 2 janvier 1958, le lieutenant-gouverneur Gaspard Fauteux prend la parole au Théâtre Beauceville. Le 5 janvier 1958, Mgr Maurice Roy préside toutes les messes à l’église de Beauceville. L’aide concrète arrive, car l’armée vient prêter main forte aux 1200 sinistrés avec plus de cent militaires équipés de sept béliers mécaniques et de trois lourds camions.

Le lundi 6 janvier 1958, 160 délégués de sept paroisses de la Beauce se réunissent au Manège militaire de Saint-Georges en vue de former un Comité préventif contre les inondations. Tous les maires feront partie de l’exécutif plus un délégué par localité. Siégeront sur ce comité : Yvon Thibaudeau de Saint-Georges, Armand Goulet de Saint-Joseph, Louis Bolduc de Beauceville, Léo Morissette de Sainte-Marie, Antonio Labbé de Vallée-Jonction, Philippe Larochelle de Scott et Pierre Morin de Notre-Dame-des-Pins.

Une semaine plus tard, un mémoire sur les inondations beauceronnes est déjà prêt à être adressé au gouvernement : en Beauce, de 1917 à 1957, on évalue les pertes à plus de 7 millions de dollars. On recommande des travaux au Rocher de Beauceville, la construction de quais riverains de la Chaudière. Duplessis annonce un don anonyme de 15 000 $ et le fédéral semble disposé à une aide complémentaire.

À la mi-janvier 1958, CKRB et le Club Rotary de Saint-Georges remettent 34,239 $ au curé Léonidas Castonguay de Beauceville « qui s’occupera de le faire parvenir à qui de droit ». Ce montant de la souscription ne tient pas compte de marchandises venues de Montréal dans cinq camions remorques. La collecte demeure ouverte.

En 1958, le photographe Jean-Louis Veilleux vend une piastre une petite brochure de 41 photos noir et blanc de cette inondation. Plusieurs familles gardent toujours la mémoire de ce triste cadeau de Noël.

En 1964-1965, le Boulevard Renault est surélevé et élargi. Dix ans plus tard, soit en novembre 1967, on inaugure le Barrage Sartigan au quartier Jersey Mills de Saint-Georges.

Selon les normes actuelles, on dit que les ancêtres beaucevillois se sont bâtis en zones inondables. Donc, le va-et-vient annuel des eaux rappelle de façon lancinante ce presque folklore des inondations : avril 1927, avril 1991 et son million de dollars de dommages.

En 2007, le Comité Patrimonial et Culturel de Beauceville par l’entremise de Michel M Mercier, assisté de Roland Poulin et Andrée Roy organise une intéressante exposition sur cette terrible inondation de 1957.

André Garant

Source: Éclaireur 1958

Dossier personnel

Andrée Roy

Denise Quirion

Paul-André Mathieu

Des débâcles à Beauceville

La Beauce est le théâtre de plusieurs inondations mémorables. Capricieuse Chaudière:

Débâcles de 1986 et de 1991

http://www.beauce.tv/regarder.php?vId=5683

- Hôtel de Ville de Beauceville, feuille manuscrite, Débâcles depuis 1924 à 1991

-Imprévisible Chaudière, Société du patrimoine des Beaucerons, 28 pages, 1991

-Sainte-Marie de la Nouvelle Beauce, Honorius Provost, tome 2, 807 pages, 1970

-Archives personnelles, André Garant